La vie ne s’arrête pas avec le baptême. C’est même le contraire : le baptême introduit dans une nouvelle vie, une vie avec Dieu, une vie qui vaut la peine d’être vécue différemment. Ce qui caractérise cette vie nouvelle, c’est la liberté. Le baptisé est un homme libre, libre au sens de « libéré ». Cela ne signifie pas qu’il peut faire tout ce qu’il veut : cela signifie plutôt qu’il n’a plus rien à prouver – rien à prouver aux autres, rien à prouver à lui-même.
Libéré !
Paul exprime cela en opposant « l’esclave » et « l’enfant »35. L’esclave se soumet à un catalogue de « choses à faire ». L’enfant, lui, n’est soumis à rien d’autre qu’à son Père qui l’aime. Et quand l’enfant dit : « Abba ! Père ! »36, ce n’est pas un mot d’esclave, ce n’est pas un « Oui, maître », mais un cri d’amour prononcé en pleine liberté. Le baptisé est appelé à vivre dans cette liberté, à agir dans cette liberté : il n’obéit pas à des ordres, il n’agit pas parce qu’on l’y oblige, ou parce qu’il s’est fixé lui-même des contraintes. La liberté du baptisé, selon Paul, a quelque chose à voir avec l’Esprit, et l’Esprit est tout le contraire d’un règlement, d’une liste de bonnes résolutions, d’une « méthode Coué », ou de toute discipline qu’on s’imposerait pour (se) donner une meilleure image de soi-même. La vie du baptisé n’est pas une suite d’efforts à faire pour polir soigneusement l’image du « bon chrétien ». Le baptisé est donc libéré de la peur de « mal faire », de la peur de l’échec ou de l’avenir, libéré aussi de la peur de la maladie, de la déchéance et de la mort : la vie du baptisé est sans image à construire, sans choses à prouver, parce que tout est déjà prouvé, parce que le baptisé a déjà reçu son identité d’enfant du Père, que la mort même ne pourra lui ôter.
« Jouer le jeu » de l’Esprit
Ce n’est pourtant pas facile de vivre dans
cette liberté. L’homme a tendance à s’occuper
beaucoup de l’image qu’il donne aux autres
et à lui-même, à s’identifier aux choses
qu’il accomplit. La logique du baptême est
exactement l’inverse. Non pas : « Je suis ce que
je fais », mais : « Je fais ce que je suis déjà. »
C’est une dynamique qui nous est étrangère, un
mouvement qui n’est pas naturel. C’est, encore
une fois, un mouvement qui vient de l’Esprit. Ce
mouvement peut mener le baptisé bien au-delà
de ce qu’il pourrait faire tout seul37. Il suffit qu’il
se l’approprie et qu’il « joue le jeu » de l’Esprit.
L’Esprit aussi a ses règles du jeu. L’Esprit aussi
travaille : il ne se tourne pas les pouces, il produit
du « fruit » que sont « amour, joie, paix, patience,
bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de
soi »38. Mais à la différence du maître, il ne les
fixe pas en les imposant de l’extérieur, comme
une loi, mais en les soufflant de l’intérieur,
comme un compagnon intime, niché au coeur
de l’homme39. C’est à cette vie dans la liberté
de l’Esprit que chaque baptisé est appelé.
Cela ne veut pas dire que tout devient facile. Le baptisé aussi doit prendre des décisions, faire
des choix, distinguer ce qui est bon et ce qui
est mauvais. Le baptisé aussi se trompe. Mais
l’Esprit peut servir de guide pour discerner ce
qu’il est bon de faire40, et les baptisés sont
comme des frères qui se conseillent et se
soutiennent mutuellement41.
Libéré pour servir
Comment la vie de l’Esprit se concrétise-telle
dans chacune de nos existences ? Il n’y a
qu’un seul baptême, un seul Esprit de liberté,
mais autant de chemins particuliers qu’il y a
de baptisés. Paul encore explique cela dans
sa première lettre aux chrétiens de Corinthe :
il compare les baptisés à un « corps » unique
animé par l’Esprit42. Le corps forme une unité, et
pourtant il a plusieurs membres. Il n’est pas fait
seulement d’oreilles, ou seulement de mains,
ou seulement de jambes. Il en va de sa survie :
avec des oreilles, par exemple, on ne peut pas
manger, sentir, courir, saisir. Chaque membre
du corps a sa fonction propre, sa manière
d’être propre. De la même manière, chaque
baptisé est appelé à jouer son rôle propre,
sa partition toute personnelle avec les dons
spécifiques qu’il aura reçus de l’Esprit. Cela
peut se traduire de manière très visible, par
un choix professionnel ou à travers un talent
particulier. Cela peut se concrétiser de façon
plus discrète, au jour le jour. Paul souligne que
toutes les parties du corps sont nécessaires et
ont besoin les unes des autres : chaque chemin
de vie particulier a son origine dans un unique
baptême et contribue à faire vivre le corps
entier des baptisés.
35. Rm 8 ; Ga 4,1-5,1
36. Rm 8,15 ; Ga 4,
37. Ep 3,14-21
38. Ga 5,22-23 ; voir aussi Jn 15,1-10
39. Jn 14,16-17 ; Rm 5,5 ; Ga 5,18
40. Rm 12,2 ; 1 Th 5,19-21
41. Ga 6,1-2
42. 1 Co 12