Le baptême n’est pas un tour de
magie : il ne transforme pas
l’homme en autre chose qu’un
homme. Le baptême n’est pas un
médicament, il ne modifie pas
la « chimie » humaine. La vie du
baptisé est marquée, comme
celle de tout homme, par des
peurs, des inquiétudes,
des crises, des doutes,
des déceptions. La
tentation est grande alors
de se replier sur soi-même, de s’enfermer, de
se couper des autres et de Dieu – comme
Pierre lorsqu’il renie Jésus22. Il arrive
aussi qu’on ait envie de « tout plaquer »,
de tirer un trait sur sa vie passée, et sur
Dieu par la même occasion – comme
le fils prodigue qui a voulu commencer
une nouvelle vie loin de son Père23. Il
arrive que quelque chose nous fascine
et nous attire tant qu’on en oublie
Dieu – comme Zachée qui
courait après l’argent24.
Le péché, ou la tentation de grandir sans Dieu
Cet enfermement sur soi-même, cet
éloignement, cet oubli de Dieu sont autant
de manières d’exprimer ce que le langage
théologique appelle « péché ». Le mot « péché »
ne désigne pas toutes les erreurs de chaque
jour, les grandes et les petites choses qui nous
font culpabiliser. Le péché, ce n’est pas « faire
le mal », par opposition au bien. Mais c’est la
tendance de l’homme à s’éloigner de Dieu, à
se couper de Dieu, à vivre sans Dieu. L’homme
pécheur n’est pas forcément méchant : l’homme
pécheur est l’homme seul, l’homme qui veut
maîtriser sa vie tout seul, sans l’aide de personne,
sans l’aide de Dieu – et cela, consciemment ou
inconsciemment.
Comme lorsqu’un enfant rejette son père
pour prendre son autonomie. L’histoire du fils
prodigue qui voulait grandir en s’éloignant de
son père est celle de chaque baptisé. Le père
de cette histoire est notre Père, celui qui au
baptême nous déclare comme ses enfants.
Mais son fils finit par se lasser, par avoir envie
d’autre chose ; il se laisse happer par son désir
de réussite ; il fait tout pour oublier son père en
vivant selon ses envies immédiates. Cette « crise d’adolescence » plutôt sévère reflète notre façon
de traiter Dieu le Père. Mais la comparaison
avec la crise d’adolescence s’arrête là : du point
de vue de Dieu, c’est très sérieux. Ce n’est pas
juste un mauvais moment à passer. Ce n’est
pas une étape obligée dans la croissance du
baptisé. Le fils prodigue se met réellement
en danger : pour le Père, c’est comme si son
enfant était mort25. Dieu mesure combien notre
tendance à nous éloigner de lui et à nous
enfermer sur nous-mêmes est puissante et
vertigineuse. Dieu perçoit combien nous jouons
avec le feu. C’est beaucoup plus profond que
simplement « faire le mal » de temps en temps :
c’est une tendance fondamentale de l’homme,
comme une basse continue dont toutes les
petites et grandes fautes qui nous coupent des
autres hommes, sont la partie la plus visible.
Revenir vers le Père – revenir au baptême
La nouveauté du baptême, c’est que l’homme
est placé désormais dans le champ d’influence
de l’amour de Dieu. Dans ce champ d’influence,
cette tendance puissante à s’éloigner et à
s’enfermer, qu’on appelle « péché », a perdu
sa force : l’homme sait que Dieu n’est pas un
juge ni un bourreau, mais un Père aimant ; le
fils prodigue sait confusément que la maison
paternelle lui est ouverte ; le baptisé sait qu’il
peut revenir. En Jésus-Christ, Dieu s’est lié à lui
d’une manière irrévocable, par un lien d’amour :
rien ne peut détruire cela26. Dieu ne reviendra
pas là-dessus. C’est fait. C’est fait, même si
l’enfant s’éloigne de son Père. C’est fait, même
lorsqu’on ne veut plus entendre parler de Dieu.
Le baptisé n’est plus jamais seul : la porte du
Père lui reste ouverte pour toujours.
Le baptême est comme la maison du Père. C’est
un refuge où le baptisé peut revenir à chaque
instant, quand il le veut. C’est la garantie de
trouver toujours la porte grande ouverte. Dieu
ne renonce pas, il ne dit pas « Tant pis ! » : il
guette à la fenêtre pour ne pas rater le moment
où son enfant reviendra. Lorsque l’homme
revient à cette porte ouverte, lorsqu’il se repent
et décide de compter à nouveau sur l’amour de
son Père, de redonner à cet amour une place
dans sa vie, le lien avec Dieu est rétabli. C’est
ce qu’on appelle le « pardon ».
22. Mc 14,66-72 ; Mt 26,69-75 ; Lc 22,54-62 ; Jn 18,15-18.25-27
23. Lc 15,11-32
24. Lc 19,1-10
25. Lc 15,24
26. Rm 8,31-39